Victor, Augustin, Jules et les autres
Le droit mène à tout, à condition d’en sortir…
Nous étions trois marins…
Qui n’a entendu un jour cette réflexion saugrenue
voire ubuesque : « le droit mène à tout à condition
d’en sortir » qui est l’occasion de faire « un bon mot »
et rien d’autre ?
On peut l’appliquer à la médecine et plus
particulièrement à la médecine navale. Les trois
prénoms qui font le titre de cette étude en sont la
preuve. Voici trois établissements publics bien connus
(du moins de nom) de tous les Brestois. Dans l’ordre
chronologique de leur fondation : HIA Clermont-
Tonnerre, UBO1 des lettres et sciences humaines
(pour les étudiants plus simplement : fac Ségalen)
CHU Morvan. Qu’ont-ils en commun ces trois
établissements ? Certes une architecture moderne,
révolutionnaire pour les Brestois d’un certain âge,
sortant des sentiers battus de ce qui se faisait avantguerre.
Place aux arêtes vives, aux courbes gracieuses,
aux surfaces planes se mariant harmonieusement
avec les concavités, triomphe du béton, du verre et de
l’acier.
Mais encore ? Ils sont tous les trois dédiés à un
médecin de la marine. Ils en portent le nom ou, à
défaut, ils abritent l’effigie symbolique d’un médecin
de la marine. Mais Clermont-Tonnerre, que je sache,
n’a jamais été médecin de la marine ? Affirmatif,
jamais. Mais ce nom est tardif. À sa création, l’hôpital
maritime, comme continuent de l’appeler les Brestois,
ne portait aucun nom. Il faut savoir que les hôpitaux
maritimes n’avaient aucun nom de personne. À
l’encontre des hôpitaux militaires qui portaient tous le
nom d’un grand ancien du Service de santé : Ambroise
Paré à Rennes, le père fondateur de la chirurgie de
guerre, Desgenettes à Lyon, Larrey, Percy, Bégin…
Si la marine ne donne pas de nom propre à ses
hôpitaux, en revanche elle consent, à permettre aux
municipalités d’en donner aux rues, aux avenues, aux
places, aux squares… Dans le grand port du Ponant
que de grands anciens médecins marins : Marcellin
Duval, Le Dantec, Calmette, Cras et tant d’autres.
Attention quand même ! Kéraudren, la grande clinique
de Lambézellec n’a rien à voir avec Pierre-François
Kéraudren. C’est tout bonnement un nom de hameau :
« le village des ronces ». Quel que soit leur lien avec
la voie de circulation ou de stationnement, tous ces
noms sont un hommage posthume à ceux qui les ont
portés. On leur donne une deuxième vie. « Tant que
tu te souviendras je vivrai » est écrit sur le monument
aux morts de Lesneven.
Même starting-block
Nos trois médecins cités, Victor, Augustin et Jules ont
cette particularité, par rapport aux derniers nommés,
de s’être rendus célèbres par autre chose que la
médecine navale, qui, comme toutes les médecines,
est tripartite : médecine, chirurgie, pharmacie. La cité
du Ponant a été, pour tous trois, la base de départ ou,
pour faire sportif, le « starting-block » après lequel
chacun a suivi sa course. Nous ne nous attarderons
pas sur Victor Ségalen, gloire de la littérature plus
que de la médecine bien que, et il faut le souligner,
il ait continué en parallèle à faire oeuvre de médecin
jusqu’à son décès, conséquence de la grippe espagnole
qu’il a connue à l’hôpital maritime. Nous ne nous
attarderons pas non plus sur Augustin Morvan, le
« petit dernier », qui a démissionné très vite pour des
raisons… médicales. Quelle maladie ? La plus courante
des maladies du bord : la naupathie ou mal de mer. Il
a brillé ensuite par ses qualités d’homme politique, de
médecin de campagne et surtout par son humanisme
hors du commun. Il est vite tombé dans l’oubli.
Mais alors qu’ont-ils en commun ces trois disciples
d’Hippocrate ? Et pourquoi Brest dans leurs
trajectoires ? Tout simplement la formation, la même
école de formation : l’École de santé navale. La
structure de la marine française et de ses ports de
guerre va conduire à partir de Colbert à la création
d’écoles de médecine, de chirurgie et de pharmacie
où la marine formera son personnel. Jusque-là elle
partageait avec le civil ses hôpitaux et ceux-ci étaient
dans un état déplorable. Brest n’est pas le seul port
qui se dotera d’une école de formation. Le transfert
des galériens de Marseille dans son bagne en 1752
va donner à Brest comme à Rochefort et Toulon des
possibilités d’études anatomiques et une « maestria »
chirurgicale que lui envieront à juste titre les civils.
Merci les bagnards !
Espace et temps
Il est permis de se demander à propos de ces
« marginaux » de la médecine en quoi la marine, c’està-
dire la vie à bord des vaisseaux, a pu inspirer leurs
vocations. Deux raisons qui peuvent se résumer en
deux mots-clés : l’espace et le temps. La mer, l’océan,
occupe, qui ne le sait, la plus grande partie des terres
émergées du globe. La mer est le « res nullius », la
chose qui n’appartient à personne.
Il y a la mer, l’outre-mer c’est autre chose, tout le
monde se le dispute, enfin toutes les grandes
puissances européennes. Cette fin du XIXe siècle
est l’âge d’or de la colonisation. Le Second Empire
finissant puis la IIIe République naissante vont plonger
dans une vraie foire d’empoigne. Rien d’étonnant à ce
que les marins s’y soient intéressés.
L’École de santé navale de Bordeaux (qui n’existe
plus) héritière de celle de Brest avait une devise qui
rappelle cette double polarité : « mari usque ad mare et
ultra homini ».
Quant au deuxième mot-clé, le temps, il concerne une
notion plus prosaïque. Les médecins sont à bord les
officiers les moins occupés, en dehors des périodes
terribles que sont celles des batailles navales et des
épidémies encore plus redoutables que les combats. À
part ces deux circonstances la « patientèle » n’est pas
demandeuse de soins. On ne court pas à l’infirmerie
sur un bateau. Par ailleurs, il faut le souligner, les
médecins étaient (le sont-ils toujours ?) les officiers les
plus lettrés (on dirait aujourd’hui les plus intellectuels)
censés, de ce fait, avoir la plus grande ouverture
d’esprit. « On attend d’un médecin qu’il sache tout » !
Dans le jardin botanique
Si d’aventure un consultant en uniforme ou en « tenue
bourgeoise » se rendant à un des services de l’hôpital
d’instruction des armées (ex-hôpital maritime) du bas
de la cour, médecine ou radiologie, si ce consultant
au lieu de marcher sur la route goudronnée prend
le trottoir dallé qui la borde et veut bien plonger
son regard sur la courette pavée à sa gauche que
verra-t-il ? Il verra une statuette de bronze, un buste
d’homme sur un socle de ciment, se dressant entre
le jardin botanique et le restaurant du personnel.
Ce buste a été déplacé après l’été meurtrier de 1944
qui a fait de Brest un champ de ruines. Il était avant
la guerre au centre de ce même jardin, beaucoup
plus étendu, un jardin cher au coeur des Brestois : le
« jardin botanique ». En réalité sa vocation était triple :
agrément, plantes médicinales et espèces exotiques en
voie d’acclimatation.
Si ce consultant, une fois admis à l’hôpital et ayant
troqué son vêtement de ville contre la robe de
chambre hospitalière, se promène dans ce jardin, qu’il
descende dans cette courette, il verra de près le buste
et pourra lire sur ce socle ces quelques mots :
J. Crevaux
1847-1882
Massacré par les Indiens Tobas
Contrairement à ce qu’il pourrait penser, cet homme
n’est pas Clermont-Tonnerre. Mais qui sont ces
Indiens Tobas ? Qui les connaît ? Et surtout, qui est ce
Crevaux ? Un médecin, notre promeneur serait bien
plus surpris si quelqu’un lui disait que cet inconnu est
aussi honoré à Nancy où existe dans un même jardin
botanique la réplique du même buste. Médecin ou
explorateur, peu importe, ce n’est pas quand même
décent de tomber aux mains d’Indiens et surtout de se
faire massacrer. En revanche un jardin botanique, donc
d’acclimatation, est la place toute trouvée pour un
explorateur. Mais pourquoi Nancy ?
Un Lorrain en Bretagne
À l’encontre de Victor et d’Augustin, Jules n’est pas
breton. Né à Lorquin (Moselle) il n’a pas eu une
enfance très heureuse surtout à partir de ses 9 ans,
mort de son père, suivie cinq ans plus tard de celle de
sa mère.
Capricieux, violent, mauvais élève « je préfère casser
des cailloux que d’aller à l’école ». Son caractère va
changer peu à peu. Il va s’assagir et devenir studieux.
On s’aperçoit qu’on a affaire à ce qu’on appellerait de
nos jours, un surdoué. Il va acquérir la même année
un bac de lettres et un bac de sciences. Il va ensuite
faire à Strasbourg une première année de médecine
puis les deux autres à Brest. Pourquoi Brest pour un
Lorrain qui n’avait jamais vu la mer ? On peut avancer
deux raisons. La première, la moins avouable, est
qu’il sera boursier de l’État. Quand on ne roule pas
sur l’or c’est appréciable. Mais la seconde raison est
la conscience de la politique coloniale de la France.
Crevaux pressent qu’un besoin croissant de médecins
et de pharmaciens se fera sentir pour les colons et les
fonctionnaires qui vont affluer. Comme on le voit dans
sa motivation l’outre-mer compte plus que la mer.
Son premier embarquement se fera à Cherbourg sur
la Cérès, un « transport hôpital ». Il aura l’occasion de
toucher terre au Sénégal, aux Antilles et en Guyane,
dans cette Amérique du Sud qui va irrésistiblement
l’attirer et qui deviendra son tombeau.
Dans cette carrière maritime somme toute assez
traditionnelle pour le moment un contretemps va
survenir. Le service à la mer va être remplacé par
ce que les marins appellent un « poste à terre ».
L’équipage devient bataillon, bataillon de fusiliers
marins. Tout se passe comme si Crevaux avait troqué
sa casquette contre le képi rouge de ses confrères
« biffins ».
Ce contretemps imprévu n’est autre que la terrible
guerre franco prussienne de 1870 qui va se terminer
par une défaite humiliante de l’armée impériale
prolongée par une autre défaite humiliante de la
Défense Nationale. La France va perdre son régime
politique. Catastrophe pour l’Hexagone qui va céder
la rive gauche du Rhin au IIe Reich triomphant. La
Moselle de Crevaux va subir une germanisation forcée,
et lui, va devenir étranger dans son pays. Il avait perdu
sa famille, il va perdre sa patrie. Heureusement lui
reste son métier. À ses risques et périls il rejoint la
France.
Il va poursuivre ses études à Brest sous la houlette
du professeur Cras, père de l’amiral musicien dont
le buste trône sur le cours Dajot. Et nous voici de
nouveau dans cet hôpital bâti sous la Restauration
(Louis XVIII) par un homme d’État qui lui a donné son
nom : Clermont-Tonnerre (mais pas son buste).
Changement de cap
Et puis comme on dit en breton « chenched penn
ar vaz » changement de cap. Le médecin va se faire
explorateur. Pourquoi cette mutation ? Parce qu’est
intervenu un deuxième homme d’État, étoile montante
de la IIIe République naissante : Jules Ferry, le
champion de l’expansionnisme colonial, ce besoin
endémique des nations du vieux monde de pousser
des pseudopodes dans toutes les « terrae incognitae »,
les terres inconnues. Va se produire entre les deux
« Jules » un investissement mutuel, comme disent
les psychiatres. Ferry a besoin de Crevaux, Crevaux
a besoin de Ferry. Ce dernier a vite jaugé les qualités
du « surdoué » lorrain, devenu apatride, ses facultés
intellectuelles bien sûr, mais pas seulement : son
courage s’appuyant sur une stabilité émotionnelle
remarquable, sa ténacité (n’avait-il pas fait sa devise
de ces deux mots : « tiens bon » le « dalch mad »
des bretonnants) ; pour ne rien dire de cette vertu
fondamentale de tout explorateur, la curiosité, mais
une curiosité scientifique, alimentée par un faisceau de
connaissances, l’ethnologie, la géographie, le dessin,
l’anthropologie, la faune, la flore, sans oublier la
photo.
Crevaux, doué dans toutes ces disciplines avait
par-dessus le marché le goût du non-conformisme.
Il jette son dévolu, non pas sur l’Afrique, mais sur
l’Amérique du Sud : l’Amazonie, la Guyane. On peut
dire qu’il a été pour le Nouveau Monde ceux qu’ont
été pour l’Ancien, c’est-à-dire l’Afrique, Livingstone,
Stanley et tant d’autres pionniers beaucoup plus
connus. Et, ce qui ne gâte rien, ce qui eût été un
handicap pour tout le monde, devient chez lui un
atout : sans patrie, sans famille, célibataire, sans frères
ni soeurs, disponible au-delà de toute mesure.
Ce n’est pas le Pérou
Trois missions sont confiées à notre médecin de
marine. La première, relever le cours des fleuves dont
le plus grand du monde, l’Amazone. Les cours d’eau et
les crêtes montagneuses fixent les frontières d’un pays.
Personne ne connaissait la Guyane à Brest hormis les
marins et les « marsouins » (alias soldats de marine).
On en parlait comme d’un Eldorado. L’imaginaire
collectif le parait de mines d’or comme le Pérou et les
autres acquisitions des Conquistadors. La réalité était
bien différente. La Guyane, celle des rives, prendra
à partir de la fin du XIXe siècle sa vraie réputation
épouvantable, pas à cause des bagnards (qui avaient
quitté les ports de guerre) mais à cause de la nature.
On en parlait comme d’un enfer vert ou « grand bois »
mais un bois quasi impénétrable, alliance de forêt
vierge et de jungle impénétrable par voie terrestre et
par voie fluviale, paradis pour les jaguars, les singes,
les rapaces et les caïmans, paradis propice à l’éclosion
de toutes sortes d’épidémies, climat hostile qu’on ne
peut affronter que bien armé d’ipéca et de quinine.
Crevaux vint à bout de sa mission dans les pires
conditions : en pirogue de fortune, à dos de mule, le
plus souvent à pied : mille kilomètres en six ans ! Mais
il a réussi. Les deux autres missions qu’accomplira
notre médecin sont en relation avec cette retentissante
expédition.
« L’exploration est une guerre livrée à la nature
pour lui arracher ses secrets » a-t-il écrit. Mais cette
exploration encore faut-il la concrétiser. Le souci de
Jules Ferry et donc de Jules Crevaux était de fonder
à Paris un musée d’ethnologie pour sensibiliser nos
compatriotes à ces terres lointaines et justifier leur
conquête.
La Guyane n’est pas seulement une terre de
déportation. Il y a aussi des indigènes, à Brest on dira
des « Peaux rouges » il y a un siècle ou des Indiens.
Aujourd’hui on sait que ce sont des « Amérindiens »
ou des Bonas ! Pardon ! Les Bonas sont des noirs
« marronnés », c’est-à-dire des métissés. Ils descendent
d ’ e s c l aves qui se
sont enfuis dans la
forêt pour échapper
aux cruautés des
planteurs néerlandais
dans ce qui s’appelle
aujourd’hui le Surinam.
Apatou était un Bona.
Robinson Crusoë avait
son Vendredi, Jules
Crevaux avai t son
Apatou. Non seulement
un guide qui, par son
expérience et son
savoir-faire lui a rendu
de grands services, au
péril de sa vie et de
celle de l’explorateur, mais aussi un ami, précieux
collaborateur pour introduire un « visage pâle » chez
des gens qui, pour certains, n’en avaient jamais vu et
surtout un visage pâle qui les aimait.
La deuxième mission demandée par son « parrain »
a été de rapporter en France le plus possible d’objets
exotiques, caractéristiques de l’Amazone, de
l’Orénoque et de leurs affluents. Mission accomplie
au-delà de toute espérance, mais à quel prix. S’il
fallait n’en retenir qu’un ce serait cette merveille de
toxicologie obtenue à partir d’un poison familier aux
Indiens : le curare, utilisé à des fins thérapeutiques en
Europe jusqu’à il n’y a pas très longtemps. Crevaux
a bien mérité de sa patrie et celle-ci a matérialisé sa
reconnaissance par une médaille et… une étoile. La
médaille d’or de la société de géographie et l’étoile
à 5 branches sous son ruban écarlate d’officier de la
Légion d’honneur.
Tant va la cruche à l’eau…
Que ne s’est-il contenté de ces succès retentissants !! Il
avait bien besoin de repos cet infatigable randonneur.
Mais le démon de l’aventure ne voulait pas lâcher sa
proie. Deux autres excursions vont se faire, au profit
de Jules Ferry, son « parrain », bien sûr, qui n’avait
de cesse de justifier sa politique de gains territoriaux
vivement contestée par des opposants, mais aussi au
profit des républiques sud-américaines voisines, avides
de fixer leurs frontières : Brésil, Argentine, Bolivie…
Cette fois notre « globe-trotter » est accompagné.
Un autre « Navalais », camarade de promotion,
mais pharmacien, a voulu prendre part à l’équipée
lointaine. C’est Le Janne, un Breton lui, de Carhaix.
Mais le « potard », moins résistant que le Lorrain, ne
tiendra pas la route. On devra le rapatrier pour raisons
médicales, pas le mal de mer comme Morvan, mais
une « vraie » maladie : la malaria. La désaffection de
son compagnon n’empêchera pas notre explorateur
de continuer sur sa lancée et de continuer, ce faisant,
de cueillir d’autres lauriers. Le grand prix de la société
de géographie couronnera ces dernières expéditions.
Crevaux avait à coeur de garnir son musée parisien
d’ethnologie et de le faire savoir urbi et orbi. Un
récit détaillé de ses « randonnées » va être publié.
Les paroles s’envolent, les écrits restent. Il publie des
comptes rendus dans la célèbre revue « le Tour du
monde » qui était alors littéralement dévorée par des
lecteurs enthousiastes.
Pendant six longues années Jules Crevaux a partagé
le quotidien de l’une ou l’autre de ces populations
dont il n’avait ni la race, ni la culture, ni la religion.
On dirait aujourd’hui qu’il a vécu en « immersion ».
Il avait gagné leur respect et leur attachement. Un
demi-siècle plus tard un autre Français avait choisi de
vivre en immersion avec des mobiles bien différents,
dans un autre désert, un désert de sable, pas une
forêt vierge, mais adopté par d’autres peuplades.
C’est Charles de Foucauld à Tamanrasset au Sahara.
Depuis la nuit des temps, l’ingratitude est une loi de
l’humanité. Dans tous les ensembles humains, chez
les Bonas comme chez les Touaregs, se trouve ce que
les Anglais appellent des « moutons noirs » et nous,
moins poétiquement des « brebis galeuses ». Crevaux
et Foucauld en furent les victimes. Ici et là, même fin
tragique des deux apôtres.
Que s’est-il donc passé ? Une histoire de rivalité entre
les tribus. Nous sommes dans le bassin méridional
de l’Amazone. Dix-sept Amérindiens escortent notre
explorateur. Un guet-apens leur est tendu. Jusqu’ici
notre héros n’avait connu que des indigènes
« aimables et curieux ». Pas ceux-ci comme l’a raconté
plus tard l’un des rares survivants. Les agresseurs
suivaient des rites mortifères et s’adonnaient parfois à
l’anthropophagie rituelle pour s’approprier les vertus
supposées du sacrifice humain. Ils furent assaillis de
coups de marteau et de couteau, torturés, assassinés et
pour finir mangés. Leurs dépouilles furent considérées
comme des trophées de victoire.
Cette fin atroce eut le même retentissement
international que l’exploration qui l’avait précédée.
Le gouvernement bolivien fit ériger une colonne avec
une statue du héros à l’endroit même où il avait été
assassiné. À Buenos Aires un monument fut élevé à sa
mémoire et une montagne d’Argentine porte son nom.
Requiem pour des pionniers
On se rappelle la devise de l’ancienne École de santé
navale de Bordeaux : « Servir les hommes sur mer
et au-delà des mers ». Fait écho à cette généreuse
invitation à bien faire, celle de l’autre école, qui elle
aussi à disparu : l’ESSM de Lyon. Cette devise, on la
doit à un grand ancien qui lui aussi a donné son nom
à un hôpital : Percy : « Allez où la patrie et l’humanité
vous appellent et soyez prêts à servir l’une et l’autre
avec le courage et le désintéressement qui sont le
véritable acte de foi des hommes de notre métier »
MC (ER) Henri-Jean Turier