MUSIQUES ET CHANTS INSPIRES DE JEANNE D'ARC


Jeanne d’Arc est une héroïne française censée être née dans le village lorrain de Domrémy le 6 janvier 1412, il y a donc 600 ans et morte brûlée, vive et encapuchonnée, sur le bûcher de Rouen le 30 mai 1431.

Elle voit donc le jour dans un pays dévasté par la guerre avec le roi d’Angleterre qui revendique la couronne de France. La vie de Jeanne a inspiré de nombreux auteurs littéraires romanesques, « avec heurs et malheurs », notamment Schiller (La Pucelle d’Orléans, 1801) et Sieburg (1929) en Allemagne et pour la France Christine de Pisan, Martin le Franc, François Brouard (1955), Valerand de Varannes (1516), Chapelain (1656), Voltaire (1738), Pierre Caze (1805), Alexandre Dumas (1842), Anatole France (1908), Mérimée, Claudel, Péguy (1910), Thierry Maulnier (1949), Jean Anouilh (1953), Hubert Monteilhet (1988), … et a suscité surtout, en ce qui nous concerne ici, de nombreuses oeuvres musicales.

À l’âge de treize ans, Jeanne entend une voix l’appeler doucement : « Fille de Dieu ! ». Le 12 octobre 1428, les voix du Seigneur transmises par saint Michel, sainte Catherine et sainte Marguerite, lui disent qu’il est temps de se mettre en marche pour sa mission nationale et religieuse !

Le 22 février 1429, Jeanne quitte Vaucouleurs pour Chinon, accompagnée de Jean de Metz et Bertrand de Poulengy et de leurs serviteurs, et de l’archer Richard. Elle quitte le capitaine Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, qui l’accompagne jusqu’à la porte de France, peut-être aux sons d’une Marche qui est un air ancien de la Guerre de Cent Ans. C’est en fait une marche écossaise anonyme du XIVe siècle, La Marche des soldats de Robert Bruce, qui aurait été jouée lors de l’entrée de Jeanne d’Arc à Orléans.

Alors l’épopée se met en marche. Le siège d’Orléans est levé le 8 mai 1429, la victoire est obtenue contre les Anglais le 18 juin à Patay et Charles VII est sacré à Reims le 7 juillet.

Ensuite Charles VII abandonne plus ou moins Jeanne qui tente en vain de reprendre Paris où elle est blessée et elle est faite prisonnière à Compiègne le 24 mai 1430. Elle sera alors vendue aux Anglais.

Puis c’est le procès et le bûcher de Rouen le 30 mai 1431, sur la triste et désormais célèbre place du Marché. Mais comme l’a écrit Max Gallo dans son ouvrage l’Âme de la France en 2007, « La Pucelle continue de chevaucher tout au long de l’histoire nationale », revendiquée par tout ce qui bouge en matière politique…

Les plus grands compositeurs français de l’époque sont Gilles Binchois (1400 – 1460) et Guillaume Dufay (1400 – 1474). Ils ont tous deux, en matière musicale, fait la synthèse de la subtilité, la délicatesse, la multiplicité et l’élégance sensuelle pendant que le compositeur anglais John Dunstable (1390 – 1452) leur opposait une certaine contenance. Le tout devait aboutir à la fin du XVe siècle à une grande diversité musicale.

Il existe des oeuvres françaises datant du périple et de la cavalcade de Jeanne entre 1429 et 1431. Parmi elles il faut citer :

  • « Bien puist » (Je le peux bien), pièce instrumentale de Binchois pour cornemuse, trompette, bombarde et tambour. C’est un rondeau sans texte retrouvé à Strasbourg au cours de la première moitié du XVe siècle.
  • « Par droit je puis bien complaindre et gémir », rondeau de Dufay pour quatre voix, harpe et luth, composé vers 1430, et
  • « Veni Sanctae spiritus », trio mystique de Guillaume Dufay (vers 1400 – 1474) qui évoque les voix entendues par Jeanne. C’est un véritable instant de grâce.

Laissons donc Jeanne suivre son destin et voyons quels sont les musiciens qui ont pu être inspirés par la suite par cette « La Pucelle », « […] une jeune fille, venue de Lorraine, demande audience. Elle était massive, un peu brune de teint, vêtue en homme, de force peu commune, mais de maintien modeste et de voix féminine. Elle se nommait Jeanne d’Arc » (duc de Castries).

François Couperin « l’Aisné » (1668 – 1733), organiste de la chapelle de Louis XIV, a composé entre 1692 et 1695, Sept Sonates en trio, sur le style italien de Scarlatti. La première s’appelait La Pucelle et date de 1692. Ces sonates ne furent publiées qu’en 1726 sous le titre Les Nations dont la première est devenue La Françoise. S’agit-il bien de la Pucelle d’Orléans ou du fait qu’il s’agissait en 1692 d’une première oeuvre de ce type de sonate en France ? Quoi qu’il en soit, la musique est belle !

Il y eut depuis de nombreux opéras sur le thème de La Pucelle d’Orléans dont ceux d’Andréozzi (1789), de Kreutzer (1790), de Michèle Carafa (1821), de Vaccai (1827), de Pacini (1830), de Balfe (1837), de Vesque von Püttlingen, conseiller à la cour d’Autriche (1840) et de Verdi (1845), sans oublier l’ouverture de La Pucelle d’Orléans op. 91 d’Ignaz Moscheles (1834). Mais qui connaît encore ces oeuvres ?

En 1845 Franz Liszt (1811 – 1866) a composé une romance Jeanne d’Arc au bûcher, qui sera remaniée en 1886. Cette romance Jeanne d’Arc au bûcher S 293 est une pièce magistrale qui repousse largement les limites du lied. Elle nous rend témoins des conflits intérieurs et des doutes de Jeanne, avant qu’elle ne marche au martyre. Comme l’a dit un critique, « c’est épouvantablement beau ! ».

Mon dieu ! J’étais une bergère quand
vous m’avez prise au hameau,
Pour chasser la race étrangère comme
je chassais mon troupeau.
Dans la nuit de mon innocence votre
Esprit m’est venu chercher,
Je vais monter sur le bûcher et
pourtant j’ai sauvé la France.


Giuseppe Verdi (1813 – 1901) a composé en 1845 Giovanna d’Arco d’après l’oeuvre de Schiller, bien étrangère à celle des romantiques. L’oeuvre fut créée le 15 février à Milan sans succès, l’échec étant attribué à son ennuyeux livret. Le hasard du nom de Jeanne est sa seule raison d’être car son père, dépassé par les événements, livre aux Anglais sa fille Giovanna qu’il croit être une sorcière. Mais il comprend son erreur, la libère et lui permet d’aller se faire tuer au combat. Ne se croyant, en fait, animé que par de bons sentiments, il est devenu deux fois le meurtrier de sa fille, à la fois saisi par la sottise et la volonté de nuire !

Puis suivent des oeuvres lyriques de Langert (1862), Duprez (1865), Mermet (1876), Bruneau (1878) et l’oratorio de Charles Gounot en 1873. Plus tard il y aura encore Chausson (1889), Reznicêk (1886), Widor (1890), Wambach (1900), Morera (1907), Roze (1911), Marsh (1923), Anderson (1934) et certainement d’autres… Mais qui s’en souvient ! Arrêtons-nous plutôt sur ceux qui en valent la peine !

En 1873, Charles Gounod (1818 – 1893) compose une musique de scène pour choeur, soli et orchestre, pour une pièce en cinq actes de Jules Barbier, intitulée Jeanne d’Arc. C’est une sorte d’oratorio, bien moins connu que d’autres, tels que Gallia (1871) ou Mors et Vita, trilogie sacrée. Il a également composé en 1887 une messe À la Mémoire de Jeanne d’Arc précédée d’un prélude avec fanfare. Elle fut donnée le 24 juillet de la même année à la cathédrale de Reims sous la direction du compositeur. Il écrivit encore en 1893, une Vision de Jeanne d’Arc violon, piano ou orgue.

En 1879, Piotr IIyitch Tchaïkovski (1840 – 1893) compose un opéra en 4 actes, son sixième, après l’échec de son mariage. Il est composé d’après une traduction russe de l’oeuvre de Shiller. C’est La Pucelle d’Orléans, qui enchantera le public de Saint- Pétersbourg le 25 février 1881. Le père de Jeanne d’Arc veut la marier au vieux Bertrand mais celle-ci apprend que son heure est venue d’aller sauver la France. À Chinon, Charles VII, sa favorite Agnès Sorel et Dunois se divertissent lorsqu’on amène Jeanne, victorieuse à Orléans et envoyée de Dieu. Celle-ci a épargné Lionel, un chevalier bourguignon et ils s’éprennent l’un de l’autre. Le père de Jeanne l’accuse de sorcellerie lors du sacre de Reims. Enfuie et seule dans la forêt, elle médite sur son amour infortuné. Lionel la rejoint mais les Anglais surviennent, tuent Lionel et capturent Jeanne qui périra sur le bûcher, à Rouen.

En 1927, Maurice Ravel (1875 – 1937) compose une Fanfare pour la musique de ballet en un acte L’Éventail de Jeanne. L’expression est ironique et certains y ont vu comme une allusion blasphématoire à l’étendard de Jeanne d’Arc.

En 1938 Arthur Honegger compose un oratorio dramatique Jeanne d’Arc au bûcher, (sur un livret de Paul Claudel (1868 – 1955)) et à la demande de la danseuse et comédienne d’origine juive ukrainienne Ida Rubinstein. L’oeuvre fut créée à Bâle le 12 mai 1938 et ce fut un triomphe. La vie de Jeanne, qu’elle revit au moment du supplice, est une sorte de lecture seulement évoquée, jusqu’à l’instant primordial dans lequel le présent terrestre rejoint l’éternité, dans le feu dévorant du bûcher. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime » chante le choeur final. C’est une cathédrale de vie, à la fois grandiose et truculente, mystique et populaire, les scènes burlesques se mêlant aux scènes tragiques. On y voit apparaître Jeanne qui parle plus qu’elle ne chante, frère Dominique, la Vierge, l’évêque Cauchon, sainte Marguerite et sainte Catherine, la Mère aux Tonneaux, entre autres… La musique est très variée et les effets en sont relativement simples.

L’oratorio Jeanne au bûcher comporte onze parties dont voici les titres :

  • Les voix du ciel
  • Le livre. Frère Dominique donne à Jeanne le livre qui l’accuse d’hérésie et sorcellerie
  • Les voix de la terre. Ce sont les voix accusatrices
  • Jeanne livrée aux bêtes. Des bêtes et non des hommes jugent Jeanne. Le tribunal est présidé par Porcus, un cochon ! Des rythmes voisins de la musique de jazz, se font entendre. Combien sont terribles les hurlements des chiens !
  • Jeanne au poteau
  • Les rois, ou l’invention du jeu de cartes. D’insolites saxophones figurent les cartes des rois et des reines qui jouent au jeu cupide et cynique de la politique
  • Catherine et Marguerite. Jeanne se souvient des voix entendues dans sa jeunesse
  • Le roi qui vat’à Reims. Ce tableau a la gaieté d’une fête populaire et la procession à Reims s’accompagne de chants grégoriens
  • L’épée de Jeanne. Jeanne se remémore sa jeunesse à Domrémy, quand saint Michel lui a donné son épée qui s’appelle l’Amour, et sa bannière.
  • Trimazo (chanson folklorique). C’est une chanson de sa jeunesse
  • Jeanne d’Arc en flammes. Pendant que le bûcher s’enflamme, la Vierge apparaît pour la consoler et le peuple comprend enfin qu’elle a sauvé la France !

En 1956, Henri Tomasi (1901 – 1978) composa un oratorio Le Triomphe de Jeanne commandé pour les 500 ans du procès en réhabilitation de Jeanne, sur un livret de Philippe Soupault. Il fut créé à Rouen en plein air le 23 juin 1956. Il y aura également plus tard une suite pour orgue du Belge Édouard Séry (1979), et quelques fantaisies modernes, du genre rock, anglosaxonnes ou japonaises, entre 1981 et 2009 !

Je souhaite surtout terminer sur deux partitions chantées avec accompagnement musical. La première est une chanson de jeunesse de Georges Brassens de 1953, qui ne cessera sa vie durant de s’interroger sur la nature de l’amour et ses multiples facettes ! C’est la Ballade des dames du temps jadis, d’après un texte de François Villon dans laquelle Jeanne est noblement citée.

La seconde est une oeuvre du compositeur de l’opérette Les Saltimbanques, Louis Ganne (1862 – 1923) qui compose en 1892 sa célèbre Marche Lorraine sur l’air du refrain d’une très populaire chanson de marche inspirée en 1575 par le mariage de Louise de Vaudémont avec le futur Henri III qui passait par la Lorraine pour se rendre en Pologne dont il était devenu roi. Mais cette chanson ne fut redécouverte que sous Napoléon III.

La chanson populaire devenue chanson de marche puis chanson enfantine En passant par la Lorraine, devint donc La Marche Lorraine de Louis Ganne qui sera interprétée pour la première fois lors de la revue militaire du 14 juillet 1914 !

En 2012, Jordi Savall qui s’était chargé en 1993 de la musique du film de Jacques Rivette avec Sandrine Bonnaire, Batailles et Prisons, donne une version complète dans laquelle il y a de très bons hommages intemporels à la Pucelle.

Les voix de Jeanne ne sont donc pas seulement celles qu’elle a entendues de 1425 à 1431, mais également toutes celles qu’elle a, malgré elle, inspirées à de nombreux compositeurs.

MGI (2eS) H. BOURGEOIS