L'AFFAIRE DES POISONS
Pourquoi s’intéresser à l’affaire des poisons? Pourquoi
porter son regard sur un dossier vieux de plus de 300
ans, alors que tant d’affaires criminelles passionnent
les historiens, les criminologues et, plus récemment ce
que l’on désigne par « la police scientifique »?…
Il y a sans doute quelque chose de gênant dans ce
dossier qui concerne l’Ancien Régime comme on
se plaît à le nommer, en France, pour évoquer une
époque obscure, ténébreuse, faite de privilèges et
d’injustices.
Au XIXe siècle, des lois ont été promulguées, des
décrets pris, pour, officiellement discréditer et encadrer
le Régime en place, mais notre propos n’est pas de
rétablir le Roi sur le trône de France, mais d’essayer
de faire une analyse historique de cette affaire et d’en
démanteler l’aspect toxicologique.
Analyse historique
Ce qu’il y a de particulièrement dérangeant dans ce
dossier, c’est qu’il est précisément parvenu jusqu’à
nous dans son intégralité. Pas tout à fait, peut-il être
objecté !
Il est vrai que l’Autorité Royale a interféré dans le
déroulement de l’instruction et nous allons voir
comment et pourquoi une telle intervention a eu lieu…
et les conséquences de cette conjoncture.
Gênant donc de découvrir qu’un système judiciaire
fonctionnait avec toutes ses lacunes, ses insuffisances,
ses contradictions. Mais déjà, en 1680, il existait des
textes, des procédures précises qui avaient, d’une part
largement fait sortir la France d’un système féodal et
que, d’autre part, le lecteur discernera, avec délice
espérons-nous, des reflets, des échos, qui formeront un
arrière-plan à ce que l’on désigne maintenant comme
des « Affaires d’État ». Car, outre les aspects sordides
qui vont être évoqués, il est raisonnable de considérer
que c’est une illustration presque parfaite de ce que
nous connaissons très régulièrement dans notre Noble
Pays.
Que nous soyons en Monarchie, en République
(n’importe laquelle) ou soumis à une dictature ou à
un envahisseur, il semblerait que nous ayons un goût
prononcé pour des situations que l’on qualifie de
façon triviale « d’arroseur arrosé » ! Une situation telle,
qu’après une phase de respect des règles et parfois
même assortie de rappel à l’ordre juridique (…Nous
sommes dans un État de Droit – en insistant bien sur
le mot « Droit » pour souligner toute la rigueur du
concept) voire une évocation sentencieuse des peines
encourues pour aboutir à un « jus », à un « brouet »
— le terme est d’un célèbre Juge d’Instruction —
incompréhensible et totalement inefficace ! Le temps
fait le reste… Les Français ont-ils la mémoire courte ou
bien finissent-ils par aimer ces instructions fleuves,
ces dossiers qui s’enlisent, ces procès avortés, ces
condamnations des principes, ces ordonnances de
non-lieu qui font rentrer dans « l’histoire » ce qui n’est
pas trop bon d’étaler sur la place publique? Nous
sommes coutumiers de ces absolutions à l’usure du
temps.
Espérons que nos amis européens comprennent cela
au nom de l’Histoire de France et qu’ils ne soient pas
trop regardants sur nos « Affaires » en prenant prétexte
de nos déséquilibres budgétaires ou commerciaux ou
toute autre mauvaise raison.
Le lecteur est suffisamment averti pour savoir que
d’évoquer le « poison » est déjà une gageure… C’est
une arme dite féminine, une arme insaisissable dont
l’origine et l’usage sont toujours entourés de mystère.
Les armes à feu ont quelque chose de mécanique,
d’automatique, de… viril, alors que le poison est, aux
yeux des hommes, sournois, hypocrite, impliquant
fatalement la préméditation; il renvoie également aux
pratiques sataniques.
De nos jours c’est un sujet brûlant, Internet permettant
des échanges faciles entre adeptes de pratiques
cultuelles hautement funestes. Des esprits faibles
peuvent se laisser entraîner par de mauvais génies
dans des excès épouvantables…; pratiques « à
rebours », magie, messes noires, sacrifices, invocations
diaboliques…
Cela a été le cas durant la deuxième moitié du très
chrétien XVIIe siècle et nous voilà donc en présence
d’une histoire réunissant divers aspects touchant à :
- l’exercice du Pouvoir sous Louis XIV,
- la particularité du poison,
- l’actualité de notre Droit.
Tout d’abord rappelons ce qui est considéré comme la
genèse de cette affaire.
Une certaine Marie-
Madelaine d’Aubray, née
le 22 juillet 1630 épouse
Antoine Gobel in de
Brinvilliers en 1651. Elle
devient ainsi la fameuse
Marquise de Brinvilliers,
pauvre femme très
probablement abusée,
dans son enfance, par ses
proches. Puis elle a un
amant : un certain Sainte-
Croix qui, au cours
d’un séjour à la Bastille
partage son destin avec
un certain Exili qui lui apprend, à cette occasion, la
« méthode Glaser ».
L’instruction mettra en évidence la mort par
empoisonnement du père et des frères de la dite
Marquise.
Louis XIV s’intéresse à l’affaire… Le 16 juillet 1676
la Marquise est condamnée à mort par décapitation
après avoir subi la question « ordinaire » et
« extraordinaire », des tortures propices au recueil
d’aveux !
Elle est exécutée à Paris puis brûlée sur un bûcher, le
fameux « sépulcre ardent » et ses cendres s’envolèrent
au gré du vent de telle façon qu’une autre Marquise —
de Sévigné — dira : « ainsi nous la respirons tous ».
Le poison venait ainsi rivaliser avec le duel pour
mettre un terme à un « point d’honneur ». Mais le
poison se montrait visiblement tout aussi efficace
pour se débarrasser d’un gêneur : son banquier, son
propriétaire, ses aînés, à cause de sordides affaires
d’argent. On lui donna le nom de « poudre de
succession ».
La police observait des morts étranges, des morts
subites, y compris dans la Haute Noblesse; des
rumeurs circulaient de plus en plus nombreuses.
Le 21 septembre 1677, on trouva dans un confessionnal
un billet dénonçant un projet d’empoisonnement
devant être perpétré contre le Roi et le Dauphin !
Rédigé par qui??? Déposé par qui???
Le 5 décembre 1677, La Reynie, Lieutenant de Police,
procède à l’arrestation d’un certain de Vanens sous
les chefs d’inculpation d’alchimiste, faux-monnayeur,
magicien. Louis de Vanens, gentilhomme de Provence,
avait de brillantes relations à la cour, c’est un intime
de l’éblouissante maîtresse du Roi, la Marquise de
Montespan. Il fréquente également assidûment la
Voisin…
Mais, c’est vers la fin de 1678 que la véritable
affaire des poisons commence. Le Capitaine-exempt
Desgrez, celui-là même qui arrêta la Brinvilliers,
apprend qu’une certaine Marie Bosse se vante d’être
une empoisonneuse.
Le 4 janvier 1679, elle est appréhendée chez elle et, le
10 janvier 1679 un arrêt du Conseil charge La Reynie
d’informer contre Marie Bosse. Puis vinrent, dans cette
époque marquée par « les diableries », les révélations
les plus étranges et les plus contradictoires.
Le 12 mars 1679 La Voisin est arrêtée. Puis, sont mises
à jour des pratiques sataniques, messes noires, enfants
égorgés, imprécations et invocations de « l’Esprit »,
alchimie, cabale… À cette époque la sorcière est aussi
sage-femme.
Magie noire, magie blanche, l’instruction est confiée à
la Chambre Ardente – commission spéciale – composée
de l’élite des membres du Conseil d’État. Le Président
est Louis Boucherat, les Rapporteurs Louis Bazin et La
Reynie.
La première réunion se tint le 10 avril 1679. Il s’agit
alors d’une réunion secrète. La Reynie est le « juge
instructeur » qui adresse des « lettres de cachet »
qui sont, en fait, des mandats d’amener des Juges
d’instruction.
Entre le 10 avril 1679 et le 21 avril 1682, la Chambre
Ardente tint 210 séances…
Ce qu’il y a de particulier est, qu’entre le 1er octobre
1680 et le 19 mai 1681, les séances furent officiellement
suspendues.
Pourquoi, alors que l’instruction révélait des faits
atroces qui impliquèrent, au total, 442 accusés dont
367 furent emprisonnés (pris au corps); alors que
les procès requérant des sentences aboutirent à 36
exécutions capitales auxquelles il convient d’ajouter :
- 2 morts en prison,
- 5 condamnations aux galères,
- 23 bannissements,
- et quelques « suicides », par exemple celui de « la
Dorée ».
La procédure faisait apparaître des injustices criantes.
Par exemple, madame de Dreux – qui avait procédé
à quelques empoisonnements – fut simplement
« bannie » par Louis XIV, comme madame de
Poulaillon…
Plus l’instruction progressait, plus la Noblesse était
visiblement impliquée…
Pourtant, Louis XIV demande… « de faire une justice
exacte, sans aucune distinction de personne, de
condition ou de sexe… ». Mais, le 2 août 1680, après
l’exécution de la Voisin, Louis XIV intervient dans le
dossier car des témoignages fâcheux de Lesage et de
l’abbé Guibourg apportent un éclairage compromettant
pour le Pouvoir.
En fait, entre le 1er octobre 1680 et le 14 mai 1681,
la procédure se poursuit mais les pièces du dossier
sont prélevées et mises sous scellées et gardées par le
greffier Sagot.
Le Roi « gère » la crise et pendant 7 mois et demi la
justice du Royaume de France est directement sous
le contrôle absolu du Pouvoir Royal. 30 ans plus tard,
le 13 juillet 1709, il fera brûler, sous son contrôle, ces
pièces compromettantes pour le Pouvoir.
Pour les historiens, le mystère demeure sur les pièces
manquantes. La Montespan figure, bien sûr, au
premier plan des soupçonnées. Elle fréquentait la
Voisin, passait des « préparations » au Roi (cantharide,
poussière de taupe), et récitait des conjurations contre
la Vallière. Elle fut soupçonnée d’avoir participé à
des messes noires au château de Villebousin, près de
Montlhéry, actuellement une maison de retraite… Voire
à des sacrifices d’enfants ! Certes, dans les carnets
personnels de La Reynie, on trouve des informations
troublantes, comme celle datée du 11 octobre 1680, « il
faut sauver la Montespan ».
Les séances de la Chambre Ardente reprennent
officiellement le 19 mai 1681, avec interdiction
aux magistrats de parler des aveux de La Filastre
— s’agissait-il d’un projet d’empoisonnement du Roi
ou de mademoiselle de Fontanges — pour se terminer
le 21 juillet 1682… et le 30 août 1682 un décret est pris
contre les empoisonneurs.
On a beaucoup parlé de la disgrâce de la Marquise de
Montespan… Elle ne quitta Versailles que le 15 mars
1691, soit 10 ans après le « drame des poisons »
alors que les condamnés à la prison sont restés
emprisonnés jusqu’à leur mort… Record absolu : 40
ans d’enfermement… Soit plusieurs années après la
mort de Louis XIV !
Aspect toxicologique
S’intéresser à l’affaire des poisons conduit à vivre dans
une ambiance de sorcellerie et de luxure faite de vies
sexuelles infidèles trépidantes et de désirs d’héritage
où apothicairerie, alchimie, distillation et sanction
suprême tiennent une grande place.
Cette ambiance de roman policier montre qu’en ce
milieu du XVIIe siècle, des notions actuelles sont déjà
en place :
- les réseaux d’approvisionnement et de sorcellerie;
- les stratégies policières;
- les renseignements généraux;
- les expertises toxicologiques qui relèvent,
naturellement, plus de l’empirisme que de la Science…
Aucune méthode analytique sensible disponible,
pas encore de méthode de digestion alcoolotartrique
des viscères suivie d’extractions éthérées et
chloroformiques en milieu acide et en milieu alcalin et
j’ai pu lire dans le « Traité de Chimie Toxicologique »
de J. OGIER (1899; docteur ès sciences, chef du
Laboratoire de toxicologie à la Préfecture de police,
membre du Comité consultatif d’Hygiène publique),
que le rapport dit d’expertise de Guy Simon,
apothicaire, chargé d’expertiser les substances trouvées
dans la cassette de Sainte Croix, montrait :
« […] qu’il a empoisonné un pigeon, un chien, un
poulet d’Inde et les ayant ouverts, il n’a trouvé qu’un
peu de sang caillé au ventricule du coeur. De la poudre
déposée par la liqueur, il en a donné à un chat sur un
morceau de fressure de mouton, le chat vomit pendant
une demi-heure et fut trouvé mort. »
L’expert conclu (naïvement, assez naïvement pour
notre époque) : « C’est un poison terrible, diabolique,
insaisissable. »
Avant de passer au véritable sujet de toxicologie
que constitue l’affaire des poisons, je voudrais dire
quelques mots sur l’alchimie qui, tout à la fois dans
sa « philosophie » et dans sa pratique, précède une
attitude plus scientifique, plus rationnelle, plus
didactique.
Du grec « khêmia » qui signifie « magie noire »,
l’alchimie fait bon ménage avec la fausse monnaie.
L’arsenic y tient une bonne place et bénéficie du
caractère mâle que lui donne la capacité de s’unir au
cuivre de caractère femelle, dédié à Vénus, en donnant
naissance à un alliage blanc, comparable à l’argent.
Les alchimistes détiennent des matières premières et
pour les plus performants d’entre eux, ont le matériel
pour distiller : ils exercent un art chimérique qui
consiste à chercher un remède propre à guérir tous les
maux et à opérer la transmutation des métaux à l’aide
de la pierre philosophale.
L’alchimie se donnait comme objectif l’étude de la
vie dans les trois règnes (animal, végétal et minéral)
et le but de ses recherches était la découverte et la
fixation d’un ferment mystérieux, grâce auquel la
désagrégation du corps, donc la mort, pourrait être
presque indéfiniment retardée. Le même agent devait
assurer la progression rapide des êtres vers l’État
supérieur.
Cet agent pouvait être liquide, élixir de longue vie
ou panacée, remède infaillible à toutes les maladies
ou solide, pierre philosophale qui, introduite dans
la masse du métal en fusion, assurait son évolution
rapide vers l’état désiré, or ou argent, qualifiée de
transmutation des métaux.
Dans l’affaire des poisons, on vit à temps plein dans
l’intrigue amoureuse ou l’intrigue de succession
et l’on perçoit très nettement qu’une culture du
poison s’est mise en place au fur et à mesure des
événements.
Sainte Croix, au cours de ses campagnes militaires,
a appris les remèdes, les onguents, les somnifères.
A Paris, il suit l’enseignement du célèbre apothicaire
Christophe Glaser que Vallot, premier médecin du Roi
va nommer apothicaire démonstrateur en chimie…, il
y entraîne d’ailleurs Marie-Madeleine.
La toxicologie moderne n’emploie plus guère le terme
« poison » : on parle plus volontiers de toxiques, de
substances toxiques voire de xénobiotiques (substances
étrangères à la vie).
Après avoir fait remarquer que les poisons peuvent
être classés en volatils, minéraux ou organiques, j’en
donnerai deux définitions anciennes retrouvées dans le
Traité de chimie toxicologique cité précédemment :
- « substance qui, introduite dans l’organisme, détruit
ou altère les fonctions vitales »;
- « toute substance, qui prise à l’intérieur ou
appliquée à l’extérieur du corps de l’homme, à petite
dose, est habituellement capable d’altérer la santé ou
détruire la vie, sans agir mécaniquement et sans se
reproduire ».
Je ferai cependant remarquer que Mithridate
a développé les notions d’accoutumance et/ou de
résistance au poison qui passent par l’absorption
quotidienne à faibles doses.
La toxicologie moderne définit une substance toxique
selon :
- sa voie d’introduction : inhalé, absorbé, contact
cutané;
- sa toxicité, caractérisée par la DL50, la dose toxique
devenue le LOAEL (Lowest Observed Adverse Effect
Level), le NOAEL (Non Observed Adverse Effect Level)
exprimés en mg, µg, ng;
- la différence entre ces deux dernières valeurs,
permet de situer ce que l’on appelle la marge de
sécurité.
À titre d’exemple, la dose toxique de l’anhydride
arsénieux est donnée à 2,0 mg/kg p.c, ce qui pour un
homme de 60 kg conduit à 120 mg.
Dans l’affaire qui nous préoccupe, on parle le plus
souvent d’arsenic, de sublimé et quelque fois d’opium,
autant de substances dont on parlait déjà dans
l’Antiquité et au Moyen âge.
On peut lire que dans la cassette de Sainte Croix, les
substances trouvées étaient des paquets de sublimé,
opium, antimoine.
La poudre dite de succession de La Voisin serait plus
vraisemblablement de l’anhydride arsénieux que du
sublimé, en raison du goût de celui-ci. J’ajoute que
l’anhydride arsénieux ressemble à de la farine, n’a
aucune odeur et une saveur très faible.
Dans l’Antiquité, l’arsenic et son sulfure que l’on
trouvait à l’état naturel sous forme de morceaux
compacts jaune d’or, appelés orpiment, étaient
déjà connus ainsi que leurs propriétés dépilatoires
et raticides. La liqueur de Fowler utilisée comme
« eupeptique » a depuis longtemps été supprimée de la
Pharmacopée.
Très récemment, les arséniates ont été interdits dans le
traitement de la vigne en raison des cancers de la peau
qu’ils entraînent et il n’est pas inutile de se souvenir
qu’une des stratégies utilisées par les empoisonneuses
était d’enduire la chemise de nuit de ces messieurs
d’une pâte savonneuse arsénicale.
Comme dans l’affaire des poisons, les intoxications
arsénicales, rares de nos jours, sont plus des
intoxications chroniques que des intoxications aiguës.
L’étiologie repose sur un contact répété en milieu
industriel ou agricole (insecticides, herbicides,
fongicides, extraction des minerais de plomb, cuivre,
étain, or, zinc où l’arsenic constitue une impureté)
et les signes cliniques les plus fréquents sont une
atteinte hépatique et rénale, une atteinte cutanée et
une atteinte neurologique.
L’analytique moderne sait que l’arsenic se concentre
dans les phanères et notamment dans les cheveux et
dans les ongles.
Quant au sublimé corrosif (bichlorure de mercure), il
semble que s’il avait été utilisé, il aurait donné lieu à
des morts subites, des intoxications aiguës.
Le mercure est un métal pour le moins particulier
puisqu’il est liquide à la température ordinaire, avec
une masse volumique de 13,6 et une tension de vapeur
élevée ce qui veut dire qu’il est volatil.
Sa capacité à donner des amalgames avec l’or était
d’intérêt pour les alchimistes.
À l’état naturel, on le trouve sous forme de sulfure
qualifié de cinabre ou rouge vermillon et deux de ses
dérivés minéraux sont plus connus : le calomel ou
chlorure mercureux et le sublimé corrosif ou chlorure
mercurique.
L’un et l’autre sont utilisés à l’époque comme
antiparasitaires, antisyphilitiques et je m’étonne que
les historiens, dans l’affaire des poisons, n’évoquent
pas cette relation de cause à effet.
Si on peut évoquer une toxicité aiguë et une
toxicité chronique, le plus souvent professionnelle
(hydrargirisme) des sels de mercure, je ne veux pas
omettre de dire ici que la toxicité des composés
organiques du mercure (méthylmercure retrouvé dans
le poisson) est très supérieure en raison des tropismes
cérébral et neurologique de ces composés alors que
le mercure ionisé ne franchit pas la barrière hématoencéphalique.
Comme pour l’arsenic d’ailleurs, pour la population
générale, les apports de mercure sont principalement
alimentaires, sans oublier pour certains d’entre nous,
les amalgames dentaires.
Le retentissement organique des intoxications
mercurielles porte principalement sur les reins et le
cerveau.
Quelles sont les surprises toxicologiques
de cette affaire?
L’absence d’un ou deux éléments de la panoplie du
« parfait empoisonneur » : l’acide cyanhydrique dont
on connaît l’efficacité par complexation du fer ferrique
des cytochrome-oxydases de la chaîne respiratoire
et dont on redoute la présence dans les fumées
d’incendie. Il est probable que HCN soit connu depuis
l’Antiquité et que les prêtres égyptiens aient déjà su
l’extraire par distillation des amendes du pêcher.
Le plomb et l’extrait de Saturne aux propriétés
abortives, au Siècle où Pincus était bien loin de penser
à la contraception orale et qui auraient pu éviter les
messes noires.
L’incertitude qui règne finalement sur l’utilisation
effective des poisons : pas de méthode analytique
incontournable et empirisme médical.
Dans la première affaire, au sens chronologique,
celle de la marquise de Brinvilliers, affaire qui à mon
sens modélise les autres, j’ai recherché si les écrits
contenaient quelques signes d’appel d’intoxication lors
de la mort de l’un de ses deux frères, Antoine : « début
avril 1670, Antoine tombe malade. Il meurt comme
d’épuisement, le 17 juin suivant, dans un épouvantable
tableau de déchéance physique, de vomissements et de
puanteur, de douleurs atroces qui n’empêchent pas
La Chaussée d’administrer chaque jour nourriture et
boissons empoisonnées.
Comme pour le père, le crime est à ce prix. On peut
certes empoisonner quelqu’un d’un seul coup, mais
qui croira à une mort naturelle? »
À l’autopsie : « l’estomac est tout noir s’en allant
par morceaux, et pareillement le duodénum, le foie
gangrené et brûlé. »
« Mais, de poison, aucune trace, et selon les médecins,
la détérioration des organes digestifs peut tout aussi
bien provenir d’une “corruption des humeurs“ ».
La vérité toxicologique repose sur un faisceau de
preuves… J’hésite, mais si l’on me le demandait, je
voterais arsenic !
Ainsi, peut s’analyser, tant au plan historique que
toxicologique « l’affaire des poisons ».
Nous avons suggéré que le temps n’a pas modifié
les circonstances criminelles et l’un d’entre nous a
même évoqué qu’il pourrait s’agir d’un roman policier
actuel…
Au plan de la procédure, le Droit pénal français est
né avec comme objectif de chasser l’hérésie de la
chrétienté, idée qui a présidé à la mise en fonction
de « Lieutenants Criminels » et ce n’est qu’en 1897
qu’une Loi a introduit l’avocat dans le cabinet du Juge
d’Instruction.
De nos jours, en France, le déroulement d’une telle
affaire serait-il possible?
Dans l’analyse historique, l’autre d’entre nous semble
penser qu’une transposition morale à notre époque
n’est pas impossible mais s’il en avait eu le temps,
il aurait fait remarquer que juridiquement et ce,
contrairement au déroulement de bien des affaires
récentes, l’instruction menée à charge et à décharge
doit être marquée, jusqu’au verdict, du sceau du
secret.
Grâce à l’expertise scientifique, on est de nos jours en
droit d’espérer que dans des affaires comme celle des
poisons, la preuve scientifique précédera l’aveu du
présumé innocent.
J-P Eutrope -Compagnie des Gemmes
F-M Pailler - Professeur au Val de Grâce
Conférence prononcée lors de l’assemblée générale de l’Association
des Amis du musée, le 14 janvier 2009.